Kethevane Gorjestani

Multimedia Producer and Reporter

Kaveh Mohseni, l’ayatollah laïc

Février 2008

Dès ses premiers, un léger accent trahis son origine. Kaveh Mohseni est Iranien et « patriote », malgré les années passées loin de son pays. Saïd*, 30 ans, l’a rencontré il y a environ cinq ans dans une réunion publique. Il confirme : « Kaveh se sent très Iranien ; d’ailleurs je le taquine un peu en lui disant qu’il est un peu nationaliste ». Kaveh Mohseni a quitté l’Iran un peu avant la révolution islamique de 1979 alors qu’il n’était encore qu’un adolescent et n’y est jamais retourné depuis. « Bien sûr que j’ai envie d’y retourner, dit-il, avant d’ajouter en riant, mais si je retourne en Iran ce serait un aller-simple ». Par ses prises de positions critiques envers le régime, un retour au pays est pour le moment inenvisageable.

C’est donc d’un « pays libre », la France, qu’il essaie de faire bouger les choses mais aussi de faire comprendre ce qui se passe dans son pays d’origine. « Il faut d’abord essayer de comprendre ce qui se passe et l’expliquer avec des mots simples ». C’est d’ailleurs l’objectif principal derrière la création en 2005 du site web Iran Resist. « L’objectif du site était d’atteindre les journalistes, de leur donner un complément d’information sur toutes les nouvelles qui arrivent d’Iran ». Lui ne voulait pas que son attachement à son pays se réduise « à des voyages et des bons petits plats à manger entre amis».

Pour lui, la couverture médiatique des questions iraniennes démontre un manque d’information. Ce sont des reportages « anecdotiques » sur « le mec gominé qui a une belle bagnole et qui va draguer le soir » ou « les jeunes qui vont au ski ». Les rares reportages intéressants manquent d’information. Certains reporters « voient des choses qu’ils n’arrivent pas à interpréter ». Pour avoir côtoyé beaucoup de journalistes, avec qui il collabore souvent, Kaveh Mohseni insiste : « Ils ne savent pas, enfin ils s’en foutent un peu aussi, mais le plus souvent ils ne savent pas ».

« Ce qui le rend dingue c’est la présentation qu’on fait de ce qui se passe en Iran» et c’est ce qui le pousse à agir, explique Saïd, qui a aidé à monter le site côté technique. Kaveh Mohseni n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai sur ce point là. Dans les années 1980, il se rallie au mouvement appelé Conseil Iranien d’Union Nationale mais la tentative se solde par un échec : Trop de tabous, d’autocensure… En 1999, il rejoint le Comité de Coordination du Mouvement Estudiantin pour la Démocratie en Iran. Mais ces groupes ne correspondent pas à l’idée qu’il se fait de son engagement pour l’Iran. Il veut aller au-delà des « discours stériles » sur l’application des droits de l’homme.

Cet homme grand et mince, aux lunettes « exotiques » est né à Téhéran, la capitale iranienne, le 21 mars 1961 dans une famille plutôt aisée, intellectuelle et laïque. Le français est, comme dans beaucoup de pays de la région, la langue de l’élite et c’est naturellement que ses parents l’inscrivent au lycée français de Téhéran. Puis c’est le départ pour la France. Il y sera rejoint par sa famille juste après la chute du Chah. « Parfois j’ai regretté de ne pas être allé aux Etats-Unis. Mais, en fait, je suis très heureux d’être en France parce que je pense qu’on y est mieux que dans d’autres pays » dit-il.

A presque 47 ans, son engagement semble être sa vie. Il admet lui-même que ce qu’il fait est très incompatible avec une vie de famille. « Un peu sur les nerfs en permanence », « passionné », « très engagé », « monstre de travail voilà en quelques termes comment son ami Saïd le décrit. Mais la formule la plus éclairante, la voici : « écorché de la politique ».

La sincérité de son engagement ne le met pas à l’abri des critiques. Kaveh Mohseni a la particularité d’avoir des positions très tranchées et souvent opposées à celles de la majorité. Saïd acquiesce « c’est vrai qu’il n’a pas des positions très communes et d’ailleurs on s’engueule un peu de temps en temps ». Ses analyses sont d’ailleurs loin de faire l’unanimité. Un rapide coup d’œil aux commentaires postés sur le net en réaction à ses articles montre qu’il ne laisse pas indifférent. En témoigne les réponses des internautes suite à un article intitulé « Ce qui se trame derrière les attentats en Iran », et publié sur le site AgoraVox. Mais, aux yeux de Saïd, il a le mérite de proposer des analyses intéressantes.

Il est connu sur la blogoshpère comme l’un des plus féroces critique de Marjane Satrapi. Il refuse de considérer l’auteure de Persépolis comme critique du régime en place. « Marjane Satrapi n’est pas une opposante, c’est un people ! » dit-il agacé. A ses yeux, elle justifie la Révolution en la définissant comme « totalement populaire ». Il l’accuse de donner une image erronée de l’Iran et surtout des Iraniennes. A cause de Satrapi « aujourd’hui, l’image normale qu’un étranger a de l’Iranienne c’est le voile, la normalité c’est de discuter avec un mollah, de pouvoir divorcer […] mais c’est faux !» s’exclame-t-il. Beaucoup d’Iraniens vivant à l’étranger dénoncent pourtant une interprétation simpliste de l’œuvre de Satrapi, qui viserait, selon eux, à montrer que malgré la répression des mollahs les gens font tout pour vivre une vie normale. Selon Nicolas*, un Iranien d’une soixantaine d’années, vivant aux Etats-Unis, Marjane Satrapi montre que « malgré tout les gens, et surtout les femmes, trouvent le moyen de contester, de débattre et de questionner ces conditions ».

D’autres reprochent à Kaveh Mohseni des observations et des analyses erronées sur la situation et la société iranienne. Nicolas, qui retourne en Iran régulièrement depuis quelques années, pense que le fait que Kaveh Mohseni ait passé une grande partie de sa vie loin de l’Iran l’empêche d’avoir une connaissance directe de la société actuelle. « Il s’en crée une image qui peut être fausse dans des aspects importants. Il ne voit pas que l’Iran est une société très cosmopolite ».

C’est surtout par ses positions sur le dossier du nucléaire iranien qu’il étonne. Une théorie assez peu conventionnelle puisqu’en divergence avec la théorie dominante dans la communauté internationale. Pour lui, la menace d’une bombe nucléaire iranienne n’est qu’un bluff de l’Iran. « La République islamique d’Iran n’a jamais été une puissance militaire, c’est une puissance de nuisance terroriste et elle le restera toujours », dit-il. Le fait de refuser les inspections et de multiplier les déclarations faisant croire que l’Iran a la bombe ne serait qu’une technique pour « obtenir la garantie qu’on les laissera faire ce qu’ils voudront » au Moyen-Orient.

Un élément essentiel de son analyse est la dénonciation de ceux qu’il appelle les « faux opposants » et le soutien que leurs accordent les médias et surtout les politiques occidentaux. Les « faux opposants » sont, pour Kaveh Mohseni, des gens qui critiquent un peu le régime en place mais qui ont « un discours tiède, de modération, d’entente avec le régime ». Le problème, à ses yeux, réside dans le fait que les Occidentaux, notamment les Américains ne veulent pas de vrai changement de régime. Ils soutiennent les « modérés » contre les « durs » (comme l’actuel président Mahmoud Ahmadinejad). « Les modérés c’est une garantie de politiquement correct » pour continuer à faire des affaires avec un pays dans lequel les pays occidentaux ont des intérêts.

*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes citées.

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